lundi 8 décembre 2014

RV est pris

Eh bien voilà, ça y est, la machine est vraiment enclenchée : le 23 janvier à 14h, je rencontrerai pour la première fois la chef de service de chirurgie bariatrique du CHU. Une sommité dont la réputation n'est plus à faire. Je considère comme une grande chance le fait d'avoir un RV avec elle, puisque du coup c'est elle qui me suivra jusqu'au bout. Son collègue a également très bonne réputation, et je n'aurais pas été déçue d'être suivie par lui, mais tant qu'à faire, je suis ravie, vu qu'elle est très reconnue.

Je suis à la fois ravie d'avoir un RV si vite (un mois et demi, une goutte d'eau), sereine quant à mes choix, et enthousiaste à l'idée que ça va vraiment être le début de cette grande aventure.

samedi 6 décembre 2014

Semaine 2 : la démarche est enclenchée

Aujourd'hui, c'était l'entrée officielle dans ma démarche de changement de vie : le RV chez ma doc pour enclencher officiellement le processus qui me mènera, du moins je l'espère, à un bébé-estomac et à une autonomie prolongée.

Ma doc est une femme formidable, fine d'esprit, attentive à ses patients, qui prend le temps de les connaître et donc de les traiter dans leur globalité. J'avais déjà évoqué avec elle la semaine dernière mon souhait d'entreprendre ce type de démarche, lors d'une consultation pour Numérobis, mais nous n'étions pas rentrées dans les détails, dans la mesure où il était prévu que nous nous voyions pour cela aujourd'hui.

Elle a bien sûr sondé mon positionnement par rapport à cette démarche, notamment si j'avais bien mesuré les conséquences psychologiques, physiques et physiologiques de ce type d'acte. Et bien que réticente d'une manière générale à ce qui reste une mutilation viscérale, elle soutient ma démarche, bien consciente qu'arrivée à mon stade, ce n'est pas un énième régime qui va changer la donne. Son approche globale lui permet aussi d'être vigilante sur les questions psychologiques et elle a notamment attiré mon attention sur le fait de bien accompagner les enfants dans ce processus. Elle a souligné un point que je n'avais pas envisagé, mais qui me semble très pertinent : la question de l'accompagnement psychologique pour toute la famille. Non seulement pour mon compagnon, chose que j'avais déjà envisagée, puisqu'il va se retrouver d'un coup avec une étrangère à ses côtés, mais aussi pour les petits, dont le référent maternel est plus proche de la Vénus de Willendorf que d'un Modigliani. Et cela peut s'avérer déstabilisant pour eux de perdre cette mère primitive, la seule qu'ils ont connu, même si c'est au bénéfice d'une mère plus dynamique et donc plus présente auprès d'eux, notamment dans leurs jeux extérieurs... Je pense suivre son conseil de leur en parler assez rapidement, et tout au long du processus. J'en profiterai aussi pour leur montrer des photos de "quand j'étais mince", histoire qu'ils aient une idée de ce à quoi s'attendre, surtout les petits pour qui tout ça risque d'être très abstrait et difficile à projeter...

Je suis repartie avec un dossier complet réunissant toutes mes analyses de ces dernières années pouvant s'avérer utiles pour la démarche, et prête à dégainer mon téléphone lundi matin à la première heure pour joindre le secrétariat du service de traitement de l'obésité au CHU.

dimanche 30 novembre 2014

Jour 7 : du contrôle social sur les corps

Parmi les raisons qui m'ont conduite à prendre du poids, paradoxalement, il y a le premier régime auquel je me suis astreinte à l'adolescence. Je devais avoir environ 13-14 ans, j'étais en 3e. Mes parents en étaient à leur énième régime : du plus loin que je me souvienne, je les ai toujours connus oscillant entre phases de régime et phases de lâcher-prise. Celui-ci était particulièrement "facile" à suivre (et donc particulièrement pernicieux), puisqu'il consistait essentiellement en plats cuisinés du commerce et en apports protéinés achetés en pharmacie.

Là où cette démarche a été une véritable hérésie, c'est qu'à l'époque je pesais moins de 60 kg pour 1,68 m, soit un IMC tout-à-fait normal (ma taille m'amène à pouvoir varier de 55 à 70 kg sans sortir de la norme médicale). Par ailleurs, j'étais plutôt sportive, pratiquant très régulièrement l'équitation et le patin à glace ou la piscine (selon la saison). Je n'avais donc aucune raison valable de vouloir perdre du poids.

Aucune, si ce n'est que depuis le CM1, époque où mon corps prépubère a commencé sa progressive transformation de l'enfance vers l'âge adulte, j'ai toujours été "grosse" dans le regard de ma mère. Cela se traduisait à deux moments précis : lorsque nous allions acheter des vêtements ("Non, ce n'est pas pour toi. Tu es trop ronde, ça ne va pas être joli") et lorsque nous étions à table ("Arrête avec le pain, tu vas grossir"). Ce que j'en ai retenu, ce que j'entendais à l'époque, ce n'est peut-être pas ce qu'elle pensait réellement, mais c'est néanmoins ce qu'elle m'a transmis. Et c'est bien là où le bât blesse, si on dépasse mon cas particulier et qu'on se projette d'un point de vue général.

Le fond du problème, c'est l'assignation à un modèle unique, celui de l'extrême maigreur des cover girls. La Femme, celle qui est validée et reconnue comme modèle, c'est celle qui peut entrer dans un 36 avec son quasi mètre quatre-vingts, qui peut se permettre des décolletés vertigineux et des robes fourreaux parce que son corps met en valeur à peu près n'importe quel vêtement et non l'inverse. Face à cet absolu quasi impossible à atteindre, on n'accepte plus qu'un vêtement soit là pour mettre en valeur la silhouette de celle qui le porte. Et que cette silhouette puisse être belle, même avec quelques rondeurs. Une mince non filiforme peut porter une robe fourreau, n'en déplaise aux apôtres de la mode. Elle le peut, et si elle trouve ça confortable et qu'elle se voit jolie dedans, alors même, elle le DOIT. C'est que ce vêtement est fait pour elle. La preuve ? Marilyn ne s'en privait pas, et elle était tout sauf filiforme... Admirez plutôt ce petit bedon, cette légère culotte de cheval, et cette chute rein callipyge... Qui oserait prétendre qu'elle était moins belle que n'importe laquelle de nos icônes modernes, malgré son IMC de fille normale (entre 22 et 23 selon les périodes) ?

Photo tirée du blog Marilyn pour toujours : http://marilyn-pour-toujours.over-blog.com

vendredi 28 novembre 2014

Jour 5 : le monde, mes proches et moi... les raisons du silence

Autant ma décision est clairement prise, autant je n'ai pas envie que ça devienne LE sujet de conversation dans mon entourage. Cette décision m'appartient, elle m'est totalement personnelle, et d'une certaine façon, elle ne regarde que moi. Si je ressens effectivement le besoin de m'exprimer par écrit sur le sujet, c'est plus, finalement, dans un geste autocentré, pour poser les choses, les fixer, les maturer, que par envie de discuter. L'avantage du blog, c'est que même s'il est accessible à tout le monde, rares sont les personnes non concernées par l'obésité qui vont prendre la peine de lire des témoignages sur le sujet. Du coup, ce blog peut être l'occasion d'échanger avec d'autres obèses (ou ex-obèses) qui en auraient envie ou besoin, sans qu'il y ait trop de risques d'interférences avec des minces.

Pourquoi je ne veux pas échanger avec des minces sur cette question ? Parce que s'il y a bien une chose que j'ai appris en quasiment un quart de siècle d'excès pondéral, c'est que les minces ne sont pas aptes à comprendre les obèses. Ils basculent presque tous et presque systématiquement au mieux dans les "bons conseils" (sans doute tout-à-fait valables pour des minces qui n'ont que quelques kilos à perdre), au pire dans le jugement. Et franchement, je me tamponne le coquillard avec une boule de coton de l'avis et des jugements de personnes qui ne peuvent pas comprendre ce que je vis, pourquoi je le vis et comment je le vis... Ce n'est pas une question d'entre soi, d'ostracisme ou de censure, c'est juste que quand on ne sait pas, on se tait et on laisse parler ceux qui savent. Et les minces ne savent pas, ne peuvent pas savoir et, dans la très grande majorité des cas, ne veulent pas savoir. Ce n'est pas une critique, entendons-nous bien : je ne sais pas ce que vivent, par exemple, les migrants en butte permanente au racisme, les invalides en butte au validisme, les transgenre en butte à la domination cisgenre... On est tous des ignorants de la réalité de ceux dont on ne partage pas les particularités. Le problème, c'est quand on se croit autorisé à leur expliquer comment ils doivent vivre leur "différence" alors qu'on n'y connaît strictement rien... Et ça, en revanche, oui, c'est une critique : je ne reconnais pas la légitimité des minces à me dire comment je devrais vivre, ce que je devrais faire, comment je devrais m'y prendre pour gérer mon poids. Surtout quand ils n'écoutent pas au préalable ce que j'ai à leur dire sur la question...

Et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas envie d'en parler à l'immense majorité des gens de mon entourage. Pour l'heure, les seules personnes informées de ma décision sont mon compagnon (il est quand même concerné au premier chef, la chirurgie bariatrique ayant des conséquences importantes sur la vie quotidienne et pouvant en avoir sur les relations sociales), Mr Ex parce qu'on est assez proches pour pouvoir en parler sans que je craigne un flot de poncifs et parce que pour lui aussi, ça aura des conséquences, vu que notre fils est en résidence alternée, et mes amies elles-mêmes passées par ce chemin ou en cours de processus. Peut-être en parlerai-je à quelques autres personnes, parmi lesquelles mes plus proches amies, dont je ne crains pas le regard ni le jugement. Pour les autres, je ne sais pas encore quand ni même si j'aborderai le sujet. Je pense qu'il faudra d'abord que j'ai avancé dans le processus, échangé avec ma psy sur la question, évacué un certain nombre de problématiques parasites, pour être sûre de pouvoir affronter les inévitables remarques déplacées... Peut-être que le bon moment ne sera, finalement, que quand ces personnes constateront par elles-mêmes le changement. Je ne sais pas. En tout cas, une chose est sûre, ce n'est pas maintenant.

jeudi 27 novembre 2014

Jour 4 : anneau, sleeve, by-pass... Corneille est mon ami !

Une des questions fondamentales, quand tu décides de sauter le pas de la chirurgie, c'est "Quelle méthode ?" Quand en plus ton métier, c'est un peu quand même de chercher (et de trouver) l'information, forcément, tu te renseignes. Et parce que tu as des gens bien dans ton entourage, qui sont au courant de ta démarche (parce que non, aussi étrange que ça puisse paraître de la part de quelqu'un qui ouvre un blog sur le sujet le jour où elle prend sa décision, la plupart de mes proches n'ont pas connaissance de mon choix : les motivations de ce silence feront elles aussi l'objet d'un billet, plus tard), ils te soutiennent, chacun à leur façon. Et pour certains, c'est aussi en cherchant de l'information pour toi. Donc, un grand merci à Mr Ex qui m'a envoyé ce lien très intéressant qui contribue à faire réfléchir à cette épineuse question.

J'avais d'emblée évacué l'anneau, précisément pour les raisons qui sont évoquées dans la vidéo linkée : trop d'échecs à plus ou moins long terme. Confirmé par les retours d'expériences autour de moi... Or, si je saute le pas de me faire charcuter, ce n'est certainement pas pour rien. Il faut que les résultats soient définitifs (bon, pas au kilo près, je me doute bien que ça va d'abord baisser drastiquement, remonter un peu, puis se stabiliser, mais il faut que sur le long terme, le poids ne soit plus un risque pour mon confort de vie et pour ma vie tout court). L'objectif, c'est quand même que je puisse avoir une vie normale avec mes enfants et plus tard mes petits-enfants. Et éventuellement (même si c'est beaucoup plus abstrait dans mon esprit, du fait que je n'ai pas de problèmes majeurs de santé causés par l'obésité), que je les vois grandir, déjà... Donc exit l'anneau.

A priori, le by-pass me faisait un peu trop peur : c'est une opération plus lourde que la sleeve et avec un risque de carences marqué. Or, j'ai déjà naturellement un certain nombre de carences : calcium, magnésium et vitamine D ont du mal à se fixer, chez moi. Du coup, je ne suis pas sûre que ce soit l'option la plus indiquée pour moi. D'un autre côté, cette vidéo confirme ce que certains opérés m'avaient déjà dit : le by-pass est la chirurgie qui offre les meilleures garanties sur le long terme. Or, je le redis, ce qui m'intéresse, c'est le long terme...

La sleeve, qui avait a priori ma préférence, justement parce qu'elle ne présente pas les mêmes risques carentiels, a finalement l'inconvénient majeur de ne peut-être pas tout-à-fait répondre, ou en tout cas pas aussi bien que le by-pass, à ce que j'attends de cette opération : la chance d'une meilleure qualité de vie pour mes vieux jours. Dans le processus qui amènera, ou non, à l'opération, ce sera intéressant de bien étudier avec l'équipe les différentes options et de voir laquelle est réellement la mieux adaptée à mon cas...

Et voilà le point fondamental que met en avant l'intervention citée : l'équipe pluridisciplinaire et le temps pré-opératoire, nécessairement long. Ça tombe relativement bien, il se trouve que le CHU qui pratique ce type de prise en charge par chez moi a des délais réputés particulièrement longs : cela nous laissera tout le temps de bien réfléchir, de bien poser tous les jalons, de bien préparer le changement, et donc de réussir dans la durée ! Contrairement à beaucoup de personnes dont j'ai pu lire les interventions sur des forums ou des sites dédiés, je ne me sens pas dans l'urgence. Je sais que ma décision est prise, et je n'ai pas de problème majeur à traiter pour lesquels la perte de poids rapide soit une condition nécessaire, pour pouvoir avoir un enfant ou me sentir mieux dans mon corps, par exemple, du coup l'attente ne me fait pas peur. Elle sera juste l'occasion de me donner de meilleures garanties de réussite.

mercredi 26 novembre 2014

Jour 3 : de la beauté intérieure

Je parlais hier de cette étape fondamentale de l'acceptation de soi quand on est grosse : admettre que ce qui fait notre intérêt et notre richesse, ce sont nos qualités. C'est une réalité profonde, une des valeurs qui fondent ce que je suis et auxquelles je tiens. Valable pour tout un chacun, indépendamment de son poids, de son aspect physique, de ses "tares" ou de ses "handicaps" (ou du moins de ce qui est perçu comme tel dans notre société). La beauté physique n'apporte rien à la société, mais les qualités que recèle chaque individu la servent et l'enrichissent : n'est-ce pas, fondamentalement, ce qu'il y a de plus important au monde, d'être un élément constitutif de l'ensemble ? D'être utile à la communauté ?

Et pourtant, la notion de "beauté intérieure" me fait grimper au rideau... Ça peut paraître paradoxal, et en même temps pas tant que ça. Cette idée de beauté intérieure est en fait un concept qui ramène encore et toujours la focale sur la beauté extérieure. Comme si la seule chose qui avait de la valeur, c'était d'être beau. Comme si tout le reste n'existait pas ou n'était que quantité négligeable. Comme si être utile ne valait rien face à la sacro-sainte injonction à la beauté (et tant qu'à faire à la jeunesse).

Je crois qu'il n'y a pas grand chose que vous, les minces, puissiez dire de plus blessant à un gros que "Tu es tellement beau intérieurement !" Le fait même qu'il faille préciser est une insulte en soi. Quand je trouve une personne belle, ce n'est pas pour sa ressemblance avec la Vénus de Milo ou le Colosse de Rhodes... C'est pour ce qu'elle dégage, pour ce que son regard, son sourire, ses expressions, sa gestuelle disent d'elle, de ce qu'elle est, profondément. Je n'ai pas besoin de dire qu'elle est belle de l'intérieur. Elle est belle tout court. Parce que, à mes yeux, c'est cela et uniquement cela, la vraie beauté : ce que l'extérieur laisse apparaître de la richesse intérieure d'un individu. Vous pourrez avoir l'enveloppe la plus parfaite qui soit, si elle est vide ou remplie de préjugés, de haine, d'intolérance, de mesquinerie, de méchanceté, de défiance, d'orgueil, de mépris... vous ne serez jamais beau.


Peut-être est-ce là, en fait, la plus grande richesse des gros : être obligés de se confronter à ce qu'est réellement, profondément, la beauté pour s'accepter. Et par la même occasion, apprendre à la trouver chez les autres, à les accepter avec leurs propres imperfections, qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les nôtres, mais qui n'en sont pas forcément moins pénibles à vivre, moins stigmatisées socialement, moins porteuses de fêlures.

Et c'est peut-être aussi pour ça que je suis prête, maintenant, à abandonner mon armure de chair. Parce que je n'en ai plus réellement besoin, au fond. Je n'ai plus besoin de prouver que j'existe en dehors du regard des autres : c'est un fait, ancré dans mes habitudes. Je n'ai plus vraiment peur de disparaître derrière une image.

PS : vous aurez tous reconnu Le Chat, de Philippr Gelück. Une de mes idoles !

mardi 25 novembre 2014

Jour 2 : eh non, je ne me sens pas moche...

Comme je le disais hier, il y a déjà quelques années que je dénie à quiconque la légitimité de considérer que je suis moche ou que je ne vaux rien uniquement sur des considérations de périmètre abdominal.

Arriver à se défaire du poids du regard social est un exercice de longue haleine, difficile, qui demande beaucoup d'introspection et de changer son propre regard. Beaucoup d'introspection parce qu'avant d'arriver à trouver la beauté dans un corps adipeux quand toute la société concourt à ne valoriser que la maigreur et à considérer l'excès comme une tare, il y a un long cheminement à faire sur toutes les qualités dont on dispose et qui n'ont rien à voir avec le physique. Il s'agit d'arriver à se dire, dans un premier temps, que le fait d'être grosse n'oblitère en rien tout le reste. Que c'est même un contresens de le croire : la minceur n'a jamais rendu les gens meilleurs, juste socialement mieux insérés. Apprendre à s'aimer pour tout ce qui a réellement de la valeur en soi, plutôt qu'à se haïr pour quelque chose qui n'a pas d'importance. Qui n'a aucune importance. Qui ne devrait avoir aucune importance.

Mon poids m'a-t-il empêchée de réussir brillamment mes études ? Non. M'a-t-il empêchée de devenir une bonne professionnelle ? Non. M'a-t-il empêchée de trouver du travail ? Non (mais il m'a fermé un certain nombre de portes, et aux Saint-Pierre de ces "Paradis" là, je veux juste dire qu'ils ont eu bien raison : on n'aurait pas pu travailler correctement ensemble, mon métier ne laisse pas de place aux préjugés...). M'a-t-il empêchée d'être aimée ? Non (et c'est seulement en sa compagnie que j'ai rencontré des hommes bien, vraiment bien...). M'a-t-il empêchée d'avoir des enfants ? Non. Socialement, mon poids n'a eu aucun impact majeur, il ne fait donc pas de moi une personne moins utile à la société qu'une autre, et donc moins estimable.

L'étape suivante, la plus difficile, c'est de changer sa propre perception esthétique, se détacher de tous ces canons fallacieux dont on nous abreuve à longueur de films, d'émissions, de pubs... Tout corps raconte une histoire, sauf à avoir été tellement refaçonné qu'il n'en est plus qu'artifices. C'est cette histoire qui fait la beauté d'un corps. Et c'est là, pour moi, l'occasion de vous présenter une artiste qui est arrivée au bon moment dans mon parcours, pile là où il fallait pour que son travail entre en résonance avec mon histoire.

Il y a deux ans, Jade Beall travaillait sur un projet qui a donné lieu à la publication en début d'année d'un recueil intitulé "Le Corps des mères". La somme d'un travail photographique magnifique et d'une très grande richesse visant à montrer, bien loin des poupées Barbie sur papier glacé qu'on nous assène à longueur d'images frelatées, combien le corps d'une mère est beau par son histoire. Or cette histoire est racontée par les traces laissées par ses modifications rapides et profondes. Vergetures, capitons, seins tombants, ventre mou deviennent autant de chapitres d'un livre d'une douceur et d'une tendresse inimaginables. Précisément à l'époque où elle développait ce travail, il y a environ deux ans donc, peu après la naissance de mon deuxième fils, j'étais dans une phase où justement j'apprenais à regarder avec tendresse et douceur ces morceaux de ma propre histoire imprimés pour toujours dans ma chair. Et à les aimer. Plus que l'élasticité de ma peau de jeune fille. Pile le bon moment...

Jade fait partie de ces artistes capables de changer le monde juste par le regard empreint de tendresse et de respect qu'ils posent sur tout un chacun, quels que soient son parcours ou son identité. Visiter son site, c'est retrouver toute la beauté que le monde recèle dans sa diversité, ses nuances et ses altérités. Jade fait partie de ces belles âmes qui nous apprennent que le regard social ne vaut rien s'il n'est pas respectueux et bienveillant. Et qui nous aident à changer de regard. Sur les autres. Et sur nous-mêmes...

lundi 24 novembre 2014

Jour 1 : et la conscience fut !

Ce matin, j'ai appelé le cabinet de ma doc pour prendre un RV. Un RV dont je ne voulais pas entendre parler il y a encore quelques mois. Un RV que je rejetais de tout mon corps et de toute mon âme. Un RV qui me faisait peur et horreur. Parce qu'on va parler de me charcuter au plus profond de moi-même, de me mutiler... J'ai pris RV pour évoquer l'hypothèse d'une gastroplastie.

Flashback. Tout a commencé il y a vingt-quatre ans. J'étais jeune, plutôt jolie (en tout cas c'était ce que me renvoyait le regard social), relativement sportive, très bonne élève. J'avais 16 ans et j'étais extraordinairement mal dans ma peau. A l'époque, j'étais une cavalière passionnée, mais mon corps a commencé à me lâcher sournoisement : tendinites à répétition à la cheville gauche, dues à un déséquilibre entre les deux hanches et à une hyper-laxité des tendons. J'ai dû lever le pieds sur mes heures de sport toute l'année de première pour finalement abandonner totalement la pratique sportive l'année suivante. Et j'ai commencé à prendre du poids, insidieusement. De 60 kilos pour 1,68 m, je suis montée en deux ans à 68 kilos. Pas de quoi fouetter un poney, j'étais encore dans la sacro-sainte norme de l'IMC, je m'habillais facilement, et je ne me sentais pas si mal.

Arrive le temps de la fac, ses horaires décousus, ses finances limitées, ses soirées alcoolisées. Et toujours pas de sport. Là, le compteur a explosé : petit à petit, je suis montée jusqu'à 80 kilos, redescendue, remontée, redescendue. J'ai alterné des phases de boulimie et d'anorexie, tenté tous les régimes, des plus sérieux aux plus fantaisistes. Et l'aiguille montait, montait, montait, inexorablement. Plus je perdais de poids et plus j'en reprenais. Le fameux effet yo-yo. 15 ans de cette galère, et j'ai crevé le plafond, explosé les scores, j'ai dépassé les 100 kilos.

D'une certaine façon, c'est là que s'est joué le point de non-retour. Je découvrais les "joies" d'un job de cadre hyper stressant, avec là aussi des horaires complètement anarchiques, des nuits entrecoupées par les réveils en panique, la tête prise en permanence par des considérations professionnelles... Un corps qui prenait de plus en plus de place à mesure qu'il était de plus en plus oublié.

Et j'ai basculé du côté du lâcher prise. Après tout, "Mon corps, ma vie" : allez tous vous faire foutre ! Oui mais voilà, tout le monde te dit sans arrêt de lâcher prise, mais s'il y a bien un point sur lequel tu n'as pas ton mot à dire et tu seras toujours jugée, c'est quand tu lâches prise sur ton poids. Là, l'injonction est permanente, violente, intrusive. Tout le monde se sent autorisé à te balancer ses préjugés, à te dispenser ses précieux conseils de mince qui n'a pas la moindre idée de ce que c'est que de voir son corps se transformer au fil des années. Ni le pourquoi, ni le comment. Sans compter, bien sûr, les discriminations auxquelles tu te trouves confrontée régulièrement.

Alors j'ai commencé à accepter l'idée que j'étais grosse et que je le resterai. Que ceux qui y attachaient de l'importance n'avaient tout simplement pas leur mot à dire. Et que je n'avais qu'à ne pas tenir compte de leur avis. D'autant plus que je n'ai aucun problème de santé causé par l'obésité : pas de cholestérol, pas d'hypertension, pas de diabète. Des problèmes de dos et de chevilles et une apnée du sommeil antérieurs à la prise de poids, peut-être aggravés par celle-ci (du moins pour le dos et l'apnée : mes chevilles n'ont pratiquement plus jamais eu de soucis depuis que je suis obèse), mais rien n'est sûr en la matière. Et une doc parfaitement consciente qu'il n'y a pas d'urgence absolue à me faire perdre du poids puisque je suis bien dans cette peau-là et qu'on n'a pas de certitude que mes soucis de santé seraient améliorés par une masse adipeuse moins importante. J'ai eu des enfants, trois beaux garçons en pleine santé. Des hommes bien dans ma vie : un ex-mari, puis un amoureux avec lequel je suis bien depuis 5 ans. Bref, ça va plutôt pas mal, pas d'urgence, pas vraiment de raison valable de me pourrir la vie avec un énième régime, rééquilibrage alimentaire ou autre du même acabit... Et je fais plus de 120 kilos. Je n'ai toujours pas trop de mal à m'habiller, d'autant que je couds et que je me fais des tenues qui me plaisent et me vont bien.

Et puis voilà, autour de moi, les copines qui depuis quelques années passent le pas de la gastroplastie. Et pour qui ça se passe bien. La vie continue, changée, certes, mais belle aussi. Et puis les 40 ans. Et soudain la question, la seule qui vaille : aujourd'hui, je suis bien, mais dans 10 ans, dans 20 ans ? Est-ce que je serai encore capable de faire des choses avec mes enfants ? Est-ce que je devrai être appareillée ou au minimum marcher avec des cannes ? Est-ce que c'est vraiment ça que je veux ?

Alors voilà, ce matin, j'ai appelé le cabinet de ma doc et j'ai pris RV pour évoquer avec elle cette question de la gastroplastie. Parce que j'ai tout essayé des solutions strictement diététiques. Et que ça ne marche pas. Pas assez. Pas assez longtemps. Jamais. Alors aujourd'hui, c'est le premier jour d'un nouvel horizon : j'aurai ce premier entretien le 6 décembre. On verra déjà ce qu'elle, qui me connaît très bien, en pense. Ensuite il faudra que j'en parle avec ma psy. Et que je commence les démarches auprès du CHU. Le début d'un long chemin. Qui peut-être aboutira, et peut-être pas...

La démarche

C'est l'histoire d'une fille, enfin d'une femme, qui a lutté contre les kilos, qui a arrêté de lutter contre les kilos et qui, à l'aube de la quarantaine, s'est dit que c'était maintenant ou jamais.

C'est l'histoire d'une femme qui, comme beaucoup d'autres, a souffert du regard social sur l'obésité puis a décidé de ne pas en tenir compte. Mais qui, à l'aube de la quarantaine, a réalisé que l'avenir se jouait maintenant.

C'est l'histoire d'une grosse ordinaire, qui milite pour le droit d'être considérée pour tout ce qu'elle est et pas seulement pour un périmètre abdominal.

C'est l'histoire d'une grosse ordinaire qui a réalisé que son combat pour changer le regard social est légitime, mais qui se demande si à 50, 60, 70, 80, 90 ans (on vit vieux dans la famille), sa vie de grosse ne deviendra pas un enfer non pas à cause du regard social mais des limitations de la vieillesse conjuguées sur le mode de l'obésité...

Bref, c'est mon histoire.